L’ARCHEEN
LA SAGA DE  LA TERRE COMMENCE
                                                   
                                                                                                           Désiré Corneloup
                
  L’Archéen (du grec Arkhaios,  primitif) est l’Ere géologique qui s’étend de 4 milliards d’années (4 Ga)  jusqu’à 2,5 Ga, soit durant un tiers de l’histoire de la Terre.
  La Terre aurait atteint sa taille et sa  forme actuelles il y a 4,5 Ga au cours de l’Hadéen (Hadès,  Dieu des Enfers) après accrétion de milliards de poussières, chondrites et  planétésimaux avec accroissement d’une température de surface qui aurait pu  s’élever à  plus de 2000 °C.
  Mis à part des zircons détritiques trouvés à  Jack Hills en Australie datés de 4,1 et 4,4 Ga, il ne reste pratiquement aucun  témoin de cette époque mouvementée.
  Par contre, au cours de l’Archéen, la Terre  se refroidissant, des blocs continentaux ont pu se former (on verra comment) et  être préservés, entraînant des conséquences sur le fonctionnement de la machine  Terre, à l’origine de son atmosphère et de la vie. 
  Aujourd’hui, les terrains archéens  affleurent en de nombreux endroits ; ils forment ce que les géologues  appellent les cratons ou les boucliers dont l’étude fournira de précieuses  informations.
   On se  propose ici de résumer quelques évènements majeurs de cette ère exceptionnellement   dynamique, à savoir : la naissance d’une  croûte continentale, une tectonique des plaques et l’évacuation de la chaleur, le  volcanisme, les BIF, la grande catastrophe, les premières traces de vie et la  formation de l’atmosphère telle que nous la respirons.
   
1- LA NAISSANCE D’UNE CROUTE A LA SURFACE DE LA TERRE
La croûte qui  s’est formée à l’Archéen est très différente de la croûte qui va se former  durant le Phanérozoïque (de 2,5 Ga à nos jours, fig. 1).
  Au début de  l’Archéen on suppose que, mis à part de rares îlots solides, la Terre n’était  qu’un océan magmatique avec une énergie disponible considérable, même si une  grande partie de cette énergie a pu se dissiper par irradiation dans l’espace. De  plus le géotherme archéen était très différent du géotherme actuel : par  exemple, la température était voisine de 1800°C à 30 km de profondeur (fig.2). Ce magma était  constitué essentiellement d’olivine, de pyroxènes, de plagioclases et de  grenats en phase liquide, sans oublier les terres rares, ou lanthadides (très  utiles pour la datation des roches car il n’est bien entendu pas question de  compter sur des fossiles pour dater les roches de l’Archéen !). Les  géologues ne se sont d’ailleurs intéressés à l’Archéen que depuis les années  1960/70 lorsqu’ils ont su dater les roches par la géochronologie nucléaire.
  Ce magma  était basique et ultrabasique (komatiitique), c'est-à-dire pauvre en SiO2 (˂  50%) et riche en Mg (MgO ˃ 25%), Fe et Ca, alors que le magma actuel est  plutôt basique (basaltique, MgO ≤ 10% et SiO2 ≤ 50%).
  On suppose  enfin que la Terre était bombardée depuis l’Hadéen par des comètes qui  pouvaient lui apporter de l’eau : eau qui pouvait rester liquide sur des  îlots où la température était inférieure à100°C, être incorporée au magma ou être  vaporisée sous forme de nuages.
  Lorsqu’une  première croûte a pu se former au cours du refroidissement, ce sont  successivement l’olivine, les pyroxènes et les grenats qui ont cristallisé. En  raison de leur densité, de l’ordre de 3,3 à 3,9, ces cristaux ont coulé progressivement  dans l’océan magmatique dont la densité était voisine de 2,9 pour former des  cumulats qui se sont déposés en strates dans le manteau. Le liquide  magmatique  superficiel qui a pu se  refroidir au contact de l’hydrosphère (eau sous forme de liquide ou de vapeur),  s’est solidifié, un peu à la manière de ce que l’on observe aujourd’hui à  petite échelle dans les lacs de lave. Cette eau a pu réagir immédiatement avec  une partie de l’olivine et des pyroxènes avant qu’ils ne coulent pour former  une croûte stable de serpentine dont la densité est de 2,8. Cette première croûte  superficielle, qui ne peut pas plonger dans le manteau de densité 2,9, va donc  flotter à la surface de la Terre et créer une couche isolante s’épaississant  progressivement, jusqu’à plusieurs centaines de mètres. 
  A titre  d’exemple : la forstérite (composant magnésien de l’olivine), en présence  d’eau et de silice donne de la serpentine ; la fayalite (composant ferreux  de l’olivine), en présence d’eau apporte de la silice, de la magnétite et du  dihydrogène.
  Les réactions  de serpentinisation libèrent du dihydrogène (H2) qui, lui-même se  recombine avec le diazote et le dioxyde de carbone préexistant depuis l’Hadéen pour  former du méthane et de l’ammoniac (NH3). Puis, H2, CH4  et NH3 vont s’échapper et rejoindre le CO2 et H2O  sous forme de vapeur pour former l’atmosphère de l’Archéen. On est encore loin  de l’atmosphère que nous respirons qui ne commencera à apparaître qu’au début  du Protérozoïque  à 2,3 Ga !
 
         
Fig. 1 : Comparaison des modes de création d’une croûte aujourd’hui et à l’Archéen
Entre 3,8 Ga  et 2,5 Ga un nombre important de petites plaques continentales vont se mettre  en place, mais dans un environnement où les mécanismes seront différents de  ceux que nous connaissons actuellement, les conditions de températures surtout n’étant  pas les mêmes. Des mécanismes de fusion partielle des sources mafiques (magmas  ferro-magnésiens) hydratées et des changements de phases dans les strates  supérieures vont favoriser des mouvements de sous-placages épaississant ainsi ces  plaques : les roches les plus denses vont plonger sous les roches moins  denses, une tectonique des plaques va ainsi s’amorcer. A l’Archéen, on suppose  que l’intense activité magmatique a été à l’origine des trois-quart du volume  de la croûte continentale actuelle. 
  Les roches  qui se sont formées à l’Archéen affleurent aujourd’hui, entre autres à (fig.4):
        -      Acasta (4 Ga) et Uivak (3,8 Ga) au Canada,
sous forme de trois associations lithologiques :
L’étude des  roches gneissiques a montré que Na (sodium) sous la forme de Na2O et  Ca (calcium) sous la forme de CaO étaient relativement abondants, tandis que K  (potassium) sous la forme de K2O était en faible quantité ou absent,  avec les proportions suivantes : 
  SiO2  57%,   FeO+MgO  15 %,  CaO 8 %,   Na2O  4 %  et K2O  0,7 %. 
  De telles  roches sont connues sous le nom de TTG ⃰ (tonalite, trondhjémite,  granodiorite), granitoïde essentiellement enrichi en feldspaths sodi-calciques  ou plagioclases (45 à 60%, l’andésine pouvant y atteindre 40%), les autres  minéraux étant la biotite (mica noir) et la hornblende (amphibole). La  structure grenue de ces roches atteste d’une lente cristallisation en  profondeur, ce qui suppose un enfouissement soit par subduction, soit par  sous-placage d’une épaisse croûte océanique. Les TTG, sont donc des roches  essentiellement métamorphiques et qui  se  sont formés jusqu’à 2,5 Ga. Aujourd’hui, une roche similaire aux TTG apparaît  dans le cadre de la subduction à haute pression de croûtes océaniques jeunes,  par exemple entre la plaque de Nazca et la plaque Antarctique non loin de la  Patagonie : ce sont les adakites. On peut donc en conclure que les TTG,  roches propres à l’Archéen, se seraient formées elles aussi dans les mêmes  conditions, sachant toutefois que le gradient géothermique le long du plan de  subduction était plus élevé qu’aujourd’hui (fig. 2).
⃰ le terme anglo-saxon est TTD (tonalite, trondhjémite, dacite) ; la dacite est une diorite quartzique.
 
    
                                                                                                          
    Fig.  2 : Diagramme PT simplifié                         Fig.3 :Komatiites  formées à l’Archéen. Ph. D.C. 
    (On voit en particulier que le  gradient géothermique                  (Les baguettes d’olivine  peuvent atteindre une dizaine de cm,
    Archéen était plus élevé que l’actuel)                                            en Afrique du Sud, les  komatiites affleurent en Mpumalanga) 
L’étude de la  formation des minéraux composant les roches archéennes, a conduit les géologues  à déterminer leurs géobaromètres et leurs géothermomètres permettant de  connaître la profondeur et la température auxquelles ces minéraux se sont  formés. Ils en ont conclu que la croûte continentale avait une épaisseur peu  différente de la croûte actuelle et que les conditions de température et de pression  pour la formation d’un liquide à composition TTG étaient de l’ordre de 1100 °C et 30 Kbars. 
    Les plaques  continentales étaient, comme on l’a vu, animées de mouvements horizontaux et  verticaux et elles entraient en subduction ou en collision : à l’Archéen  il existait donc des massifs montagneux, des bassins et des mers recouverts de  masses nuageuses. L’érosion allait entraîner une sédimentation des roches. Les  témoins de cette sédimentation affleurent, dans les lieux cités plus haut, sous  forme de :
      -      rides de plage et fentes de dessiccation attestant de périodes  d’émersion et de sécheresse. 
    
Fig. 4 : Localisation des principaux terrains archéens. H. Martin
En observant la cyclicité des dépôts de plage (fig.5) résultant de l’effet des marées, les géologues ont pu déterminer un cycle lunaire de 20 jours il y a 3,5 Ga, alors qu’actuellement il est de 29,5 jours.
           
Fig. 5 : Rides de plage archéennes. Ph. D.C Fig. 6 : Evolution des lithologies. H. Martin .
Cela signifie que la distance Terre-Lune était plus faible qu’aujourd’hui : après l’impact géant entre un corps et la Terre qui a conduit à la formation de la Lune, il y a plus de 4,5 Ga, celle-ci s’éloigne progressivement de la Terre.
2- TECTONIQUE DES PLAQUES ET EVACUATION DE LA CHALEUR
Les TTG n’ont  pu se former que dans le cadre d’une tectonique des plaques : par la  suite, cette tectonique allait conditionner la géologie (et la vie) de la  Terre. Un élément important de cette tectonique est la subduction. A l’Archéen,  le magma étant plus chaud que celui d’aujourd’hui et les plaques moins rigides,  la subduction se faisait à angle faible, c’était une subduction plate.
    La Terre  évacue sa chaleur interne par un mode principalement convectif : convection  thermique et déplacements conjoints de matière chaude vers le haut et de  matière froide vers le bas. Les déplacements de matière froide dans le manteau  sont principalement le fait de la subduction, une plaque froide s’enfonçant  dans le manteau ; les déplacements de matière chaude sont le fait des  remontées de magma au niveau des dorsales, du moins dans la partie supérieure  du manteau, et des points chauds. A l’Archéen il y avait deux à quatre fois  plus de chaleur à évacuer qu’actuellement.
    Aujourd’hui,  la chaleur est essentiellement évacuée au niveau des rides médio-océaniques ou  dorsales. Comme il devait en être de même à l’Archéen, et comme la Terre a  toujours gardé une surface constante, il est logique de penser qu’il y avait  beaucoup de rides médio-océaniques, donc un grand nombre de petites plaques (fig.7)  se déplaçant plus rapidement que ne se déplacent  les plaques aujourd’hui et subductant tout  aussi rapidement.
    Le phénomène,  simple d’apparence, doit tenir compte des remarques suivantes : 
Un autre  argument en faveur d’une subduction archéenne, c’est la découverte d’un  ensemble ophiolitique vieux de 3,8 Ga mis à jour en 2007 au Groenland à Isua.  On sait en effet qu’un complexe ophiolitique constitue une preuve de  l’ouverture océanique caractéristique de la tectonique des plaques.
    Les petites  plaques archéennes se mouvant rapidement, la croûte océanique devait entrer en  subduction plus rapidement qu’aujourd’hui : des calculs ont donné un âge  moyen de la croûte océanique (avant qu’elle ne subisse la subduction) de 10 Ma,  alors qu’aujourd’hui cet âge est de 80 Ma.
    Un  test grandeur nature en faveur d’une tectonique du type archéen permettant  d’évacuer un flux de chaleur important nous est donné par le bassin fidjien  actuel situé entre la Nouvelle-Calédonie et les îles Fidji (fig.8). 
    Là, le flux  de chaleur évacué est de 240 mW/m2, soit quatre fois plus que le  flux moyen actuel, conditions qui nous rapprochent des conditions de l’Archéen.  Or, que constate-t-on dans ce bassin ? On note la multiplication des  segments de rides actives qui limitent de petites plaques. Il y a donc un lien  entre le flux de chaleur à évacuer, le nombre et la longueur des rides et le  nombre de petites plaques. 
    Enfin,  l’étude cartographique, stratigraphique et géochronologique des terrains  archéens de la Province du Supérieur au Canada montre un assemblage de blocs  différents, de largeur de quelques dizaines de kilomètres, mis en contact entre  2,8 et 2,6 Ga et séparés les uns des autres par des ceintures de roches  vertes.  
        
Fig. 7 : Comparaison des plaques lithosphériques Fig. 8 : Le Bassin Nord-Fidjien actuel. H.M
3- LE VOLCANISME ARCHEEN
Avant 2,5 Ga,  les laves ultrabasiques archéennes (les komatiites) étaient très abondantes au  seindu magma. A une exception près, île de Gorgona en Colombie, elles sont  absentes depuis cette époque. Les komatiites (fig.6), qui tirent leur nom de la  rivière Komati en Afrique du Sud, où elles ont été observées et définies pour  la première fois, sont des laves très fluides à forte teneur en MgO, où le  minéral dominant est l’olivine, montrant un taux de fusion important de 30% à  60%, peu riches en eau et fondant à des températures de 1600°C à 1800°C, ce qui correspond  à 2000°C  à 80 km  de profondeur (pour mémoire les basaltes actuels arrivent en surface aux  alentours de 1250°C). 
    Le volcanisme  komatiitique archéen a été émis en larges coulées, peu épaisses, de l’ordre du  mètre, pouvant former des volcans du type bouclier, les coulées une fois  refroidies s’empilant les une sur les autres, et des pillow-lavas, ce qui  suggère une mise en place en milieu aquatique.
    Ces laves se  sont insinuées parmi les TTG puis déposées, et elles ont subi le métamorphisme  en même temps que ces roches. 
    Une coulée de  komatiites (fig. 3) présente une succession de textures : 
Les  komatiites se sont formées dans le contexte chaud du manteau archéen, ce qui  correspond vraisemblablement à des points chauds. Les points chauds devaient être  nombreux à l’Archéen, compte tenu du fait que les roches vertes, formées en  partie de komatiites, sont très abondantes dans les cratons. Néanmoins, de  récentes études ont montré que, si le magma komatiitique était très chaud, la  température du magma dans son ensemble n’était que d’une centaine de degrés plus  élevée que celle du magma actuel. 
    L’émission  d’abondantes laves komatiitiques a participé de façon spectaculaire au  refroidissement de la Terre.
    Les  komatiites ont été à l’origine d’un phénomène complètement disparu  aujourd’hui : la sagduction. Les laves komatiiques très fluides et de  forte densité (d = 3,3) se sont déposées par endroits sur une croûte de TTG de  plus faible densité (d = 2,7) et relativement ductile. Sous l’effet de leur  poids, les komatiites se sont enfoncées dans les TTG créant une dépression, une  sorte de cratère, où ont pu se déposer des sédiments. Ces cratères apparaissent,  entre autres, à Pilbara, à l’Ouest de l’Australie. On peut dire que la  sagduction est une sorte de point chaud à l’envers au milieu des plaques !
    Parallèlement  aux komatiites, quelques volumes de laves basaltiques à affinité tholéiitiques,  et de rares laves acides (dacites ou rhyolites) pouvaient être émis. Ces laves,  mêlées à des roches sédimentaires ont ceinturé le socle essentiellement TTG,  pour former les roches vertes dans une proportion qui ne dépasse pas 8% du  volume des terrains archéens.
    Enfin, des  granites intrusifs à affinité calco-alcaline, provenant de la fusion des  péridotites du manteau, sont apparus parmi les roches vertes et les TTG.
    Les granites  ayant subi un fort métamorphisme peuvent s’insinuer en fins filons blanchâtres  dans les TTG en général gris clairs (fig. 10).  
4- LES FORMATIONS FERRIFERES RUBANEES, LES BIF ET LES OCEANS
Le terme BIF  (Banded Iron Formation) recouvre une variété  de roches sédimentaires où alternent de fines couches centimétriques de quartz  et de magnétite formées durant la fin de l’Archéen. 
    
                 
Fig. 9 : Les BIF du Namaqualand. Ph. D.C. Fig. 10 : Les gneiss du Kaapvaal. Ph. D.C.
Le fer de la  magnétite provient essentiellement de l’altération et du lessivage des roches  de surface. La mobilité du fer dépend de son état d’oxydation : sous sa  forme ferreuse Fe+2 il est soluble dans l’eau, alors qu’il ne l’est  pas sous sa forme ferrique Fe+3. Aujourd’hui, l’atmosphère étant  riche en oxygène, le fer reste sur les continents sous forme d’oxydes ou  d’hydroxydes, par exemple dans les cuirasses latéritiques d’Afrique. A  l’Archéen où l’atmosphère était dépourvue d’oxygène, donc réductrice, le fer  était en solution dans les océans ; il en était de même du quartz. 
    Aujourd’hui, les  précipités chimiques du fer et de la silice, après oxydation et métamorphisme,  affleurent sous forme de niveaux rubanés du plus bel effet, en de larges plis alternant  fines couches rouges d’oxydes de fer et couches noires ou grises de matériaux  siliceux : ce sont les BIF.
    La  composition des océans archéens a été, entre autres, déterminée par l’étude de  petits volumes de fluides, de l’ordre de quelques dizaines de µm3, piégés  dans les défauts cristallins de certains minéraux des TTG. On a retenu, entre  autres, que l’océan archéen contenait du fer, beaucoup de sel et enfin, de  l’analyse des isotopes stables de l’oxygène, du silicium et du strontium, il  ressort que la température de l’eau était supérieure à 50°C : les flux de  chaleur internes étaient plus importants qu’aujourd’hui et, on le verra plus  loin, régnait un important effet de serre.
5- LA GRANDE CATASTROPHE
Entre 3,9 Ga  et 3,8 Ga, au début de l’Archéen, certaines planètes du système solaire ont  subi un intense bombardement météoritique. La Terre a dû considérablement souffrir  de ce bombardement en particulier sur ses cratons stables. Aujourd’hui, il n’en  reste plus de traces visibles car elles ont été effacées par l’érosion et la  tectonique des plaques. Ces traces sont par contre bien visibles sur la Lune  qui compte plus de 1700 cratères de 20 km de diamètre chacun, datés en moyenne de  3,9 Ga et sur Mercure où ils sont innombrables. On ne voit donc pas pourquoi la  Terre aurait été épargnée !
    Cette époque  de bombardement, dont le pic se situe à 3,9 Ga, porte le nom de LHB (Large Heavy Bombardment). 
    Selon le  scénario lunaire et, compte tenu de la surface de la Terre, quelque 22 000  météorites auraient pu laisser des cratères d’une vingtaine de kilomètres de diamètre  chacun ; certains auraient même pu atteindre des diamètres d’un millier de  kilomètres. 
    On pourrait retrouver  les indices du LHB dans l’enregistrement sédimentaire de certaines roches  archéennes : teneur élevée en platinoïdes, minéraux choqués et anomalies  isotopiques.
    Les  platinoïdes, éléments chimiques rares sur Terre (Pt, Pd, Ru, Ir…) sont par  contre abondants au sein des météorites. Les minéraux choqués ont été déformés  par une violente onde de choc et une rapide et forte augmentation de  température. A ce jour, ces deux premiers indices n’ont pas encore été  découverts dans les plus anciens terrains archéens. 
    Il reste cependant  les marqueurs isotopiques : des sédiments archéens d’Isua au Groenland et  de Nulliak au Labrador ont laissé des indices, si on compare les rapports  isotopiques du tungstène de ces sédiments et ceux d’une valeur de référence  moyenne de la Terre. Donc la Terre a bien été bombardée !
    Les  conséquences du LHB ont été une remise à zéro des velléités d’évolution de la  Terre  au début de l’Archéen. Néanmoins,  en dépit de l’intensité du LHB, quelques rares îlots de croûte continentale ont  été conservés et certains de leurs composants tels que les zircons ont pu  traverser les âges pour venir jusqu’à nous : à Jack Hills, des zircons ont  été datés à 4,4 Ga et à 4 Ga des gneiss près d’Acasta.
6- LES PREMIERES TRACES DE VIE
Le passage du  minéral au vivant demeure, encore aujourd’hui pour les scientifiques, l’une des  grandes énigmes. Pour le biologiste, la vie est la faculté d’autoréplication de  certaines associations de molécules qui évoluent et se développent pour  atteindre un état d’équilibre éloigné de l’état d’équilibre qui leur a donné  naissance. 
    Du physicien  au chimiste, en passant par le géologue et le philosophe, chacun pourrait  donner une définition de ce qu’il entend par « la vie ».
    Certains  postulent que la vie serait apparue même avant le LHB : événement sans  doute improbable compte tenu des conditions physico-chimiques ! Les  premières traces de vie dateraient de 3,5 Ga, mais les traces de vie avérées  ont été enregistrées à 2,7 Ga. 
    Pour certains  chercheurs la vie serait apparue lorsque des systèmes construits à partir d’ARN  auraient été capables de se répliquer, il y aurait 3,8 Ga. Cette hypothétique  et première structure, dont on ne connaît aucune trace, a même reçu un nom :  LUCA (Last Universal Cell Ancestral). Nous  serions donc tous les enfants de Luca !
    Quant à  savoir où est née la vie, les candidats sont nombreux : l’océan et ses  rivages arriveraient en tête, les argiles et la glace suivraient ; la  panspermie (un germe de vie serait venu d’une planète lointaine), quant à elle,  n’étant qu’une hypothèse spéculative.
    Actuellement  les seuls macrofossiles datés indubitablement de l’Archéen sont les  stromatolites (fig. 11 & 12) : ce sont des structures sédimentaires carbonatées  laminées qui s’empilent sous forme de plaques ou de colonnes. Elles sont  engendrées par des communautés microbiennes complexes  où dominent les cyanobactéries (organismes  procaryotes, c'est-à-dire sans noyau) enfermées dans un mucilage qui piège les  particules carbonatées. Ces organismes se développent dans l’eau, non loin de  la surface et sur des plateformes carbonatées. Les organismes les plus profonds  sont peu à peu asphyxiés, ils meurent et de nouveaux organismes se construisent  sur leurs « cadavres ». 
    Des  stromatolites se développent encore aujourd’hui, entre autres dans l’Ouest de  l’Australie à Shark Bay, où elles croissent dans des conditions spéciales qui,  on le suppose, se rapprochent des conditions archéennes :
L’hypersalinité  de la baie évite le développement des algues macrophytes et empêche la vie des  gastéropodes prédateurs. La vitesse de croissance des stromatolites a été  estimée à 0,5 mm/an et la durée de vie d’une colonie à 1000 ans. A Shark Bay  les édifices morts sont oxydés, de couleur rouge ; les vivants respirent  (petites bulles), sont à fleur d’eau et de couleur gris brun. 
    A l’Archéen,  les stromatolites devaient régner en maîtres sur l’ensemble des plateformes  carbonatées devenues nombreuses et être sans doute les seuls êtres vivants  macrostructurés de la planète. Mais, comme on le verra, leur « mode de  vie » allait signer leur quasi-disparition !
 
Fig. 11 : Stromatolites vivantes. Ph. D.C. Fig. 12 :Stromatolites fossiles. Ph. D.C.
7- LA FORMATION DE L’ATMOSPHERE ACTUELLE.
Le  métabolisme des stromatolites fonctionne par fixation du dioxyde de carbone et  rejet d’oxygène. Ce métabolisme a eu pour conséquence une modification  fondamentale de l’atmosphère terrestre qui, alors réductrice, est devenue  oxydante avec création de puits de CO2 et bouleversement complet des  lignées du vivant.
    L’apparition  de l’oxygène atmosphérique a créé une véritable révolution : le GOE (Great Oxidation Event). Elle a débuté à  la fin de l’Archéen pour avoir son pic au Paléoprotérozoïque, de 2,5 Ga à 1,8  Ga.
    Les  conséquences cruciales de l’oxygénation atmosphérique ont été, entre autres,  les suivantes :
De toute  façon, eucaryotes et procaryotes allaient continuer de vivre, de s’adapter et  d’évoluer !
    Quant à tenter  d’expliquer l’origine des eucaryotes, les chercheurs sont partagés entre  plusieurs hypothèses, entre autres : 
Comme on l’a vu plus haut, l’atmosphère archéenne se composait essentiellement de CO2, de CH4, de composés nitrés dont N2 et d’eau. Il devait donc régner sur Terre un important effet de serre. Or, comme le soleil était moins lumineux qu’aujourd’hui (environ 25% fois plus faible), cet effet de serre devait éviter à la Terre de trop se refroidir. A partir de 2,5 Ga, l’oxygène devait s’accumuler, le CO2 diminuer, le CH4 disparaître pratiquement, N2 et H2O restant constants. L’oxygénation de l’atmosphère allait induire une diminution de l’effet de serre et donc de la température ; mais comme la luminosité de soleil devait s’accroître, un nouvel équilibre allait se créer aux débuts du Protérozoïque.

Explications dans le texte
BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie liée à l’Archéen est importante. J’ai choisi quelques titres accessibles à l’amateur averti de géologie.
BALLEVRE, M.  & JOLIVEL, J.Y., 2008. Géologie en  Australie. META ODOS. Cesson-Sévigné. France.
    CASSIDY, K.F., & al. 2001. 4th Archean Symposium, Sept. 2001. AGSO.  Geoscience. Perth  Australie. Pp. 6-7, 54-55, 131, 134-135, 222-223, 314-317, 394-395. 
    GARGAUD, M.,  & al., 2009. Le Soleil, la Terre…la  vie. La quête des origines. Belin. Pour la Science. Paris. 
    MARTIN, H.,  2009. L’Archéen, Encyclopedia  Universalis, pp. 715-720.
    MASCLE, G.,  2008. Les Roches, mémoire du temps. EDP  Science. Les Ullis.
    MOYEN, J.F.  & JOLIVEL, J.Y., 2007. Géologie en  Afrique du Sud. La Terre précambrienne. META ODOS. Cesson-Sévigné. France.
    MOYEN, J.F.,  2004. TTG et Adakite. Cas particulier de  magma de zones de subduction. Planet-Terre. ENS Lyon. Stellenbosh  University. 7602 Matieland. Afrique du Sud.
    REISSE, J.,  2006. La longue histoire de la matière. Presse Universitaire de France. Paris
    Pour plus  amples informations voir « Archéen »  sur Google : on y trouvera des références relatives à des thèses sur des  terrains précambriens. 
    La Recherche et Pour la Science ont consacré de nombreux articles au Précambrien.       
                                
         
Deux affleurements typiques de l’Archéen : des gneiss et des stromatolites (Afrique du Sud, Australie). Ph. D.C.