Bible et géologie

Peut-on trouver dans la Bible la mention de phénomènes géologiques

préhistoriques ou protohistoriques ? (1)

  La réponse est évidemment affirmative et, comme on peut le penser, restera sur le seul plan de la géologie, avec quelques compléments tirés de l'archéologie protohistorique.

Ces mentions de phénomènes géologiques sont peu nombreuses et limitées aux livres de la Genèse et de l'Exode, c'est-à-dire à une période allant, en gros, du dixième au deuxième millénaire avant JC. On va donc essayer d'y retrouver la trace de ces évènements dont le souvenir aurait été transmis oralement, naturellement très déformé, sous la forme de récits mythiques que nous aurons à décrypter.

Notre premier sujet concernera la sortie du Paradis terrestre et l'histoire de Caïn et d'Abel , deux récits qui s'enchaînent et correspondent à des faits explicables par l'évolution paléoclimatologique du Proche et Moyen Orient. (2)

Cette évolution commence vers 10 000 ans avant J.C.(datation dite BC), soit 12 000 ans de nous. En Europe, les glaciers disparaissent et une période de réchauffement commence. Les pays péri méditerranéens et ceux du Moyen Orient connaissent aussi cette période de réchauffement qui y montre une phase où il pleut beaucoup, suivie d'une autre où des saisons bien tranchées se dessinent et où s'accentue l'aridité d'une bonne partie de la région, notamment celle des plateaux calcaires où l'eau disparaît immédiatement par infiltration karstique.

Ces deux stades se retrouve en filigrane dans le livre de la Genèse. En effet :

  - la phase humide correspond au Paléolithique terminal, c'est-à-dire celle où les outils sont encore en pierre taillée (abris-sous-roche de Pétra ou du mont Carmel près d'Haïfa par exemple). Les hommes étaient des chasseurs-cueilleurs qui vivaient facilement de gibier et de fruits sauvages, ici très abondants, ce qu'évoquerait le mythe du paradis terrestre avec son jardin planté par Dieu lui-même, jardin où l'homme n'a qu'à se servir. L'homme paléolithique ne construit pas de village, n'a pas de moutons à garder, pas de champ à cultiver. Le climat est agréable, humide et chaud. On peut donc penser que, lorsque les soucis arrivèrent, les hommes furent convaincus que leurs ancêtres menaient une vie « paradisiaque » en comparaison de la leur, et qu'ils en avaient été privés par une sorte de malédiction ou de punition. Ces soucis sont liés à un profond changement de leur mode de vie, bien connu dans l'ensemble du vieux monde et que l'on a désigné sous le nom de « révolution néolithique » bien qu'il s'étale sur plusieurs millénaires. Il correspond à une nouvelle période climatique.

- L'alternance de saisons sèches et humides se traduit dès le 8 e millénaire BC par une nouvelle façon de vivre liée à l'apparition de l'agriculture (que traduisent des meules en grès ou en pierre volcanique, ainsi que de très nombreux petits éclats de silex, dits microlithes, interprétés comme les dents de faucilles primitives) (3). La palynologie (science des pollens fossiles) indique en effet l'utilisation des céréales, d'abord sauvages, puis cultivées. L'élevage se manifeste, quant à lui, par des accumulation locales d'ossements fossiles de bovidés, de chèvres ou de moutons, à proximité des premiers villages (repérés par les fondations de maisons bien rudimentaires), ce qui traduit les débuts de la vie sédentaire.

Les aléas climatologiques, le travail de la terre, indispensable à la survie, la défense des biens acquis contre les prédateurs, les rivalités entre familles et clans, ont   créé un état de tension permanent, voire de conflit armé, qui a dû faire regretter aux populations l'époque de la chasse et de la cueillette libres, un temps béni dont l'évocation orale se transmettait d'une génération à l'autre.

C'est dans ce contexte que va s'exacerber le conflit entre éleveurs et cultivateurs symbolisé par les personnages de Caïn et d'Abel (Gn 4 , 2). Sur ce point, le géologue cède le pas aux archéologues.

Caïn est l'agriculteur installé, Abel, l'éleveur de   bétail, qui coexiste avec le précédent,   son voisin (appelé son « frère »). Abel ne maîtrise pas encore ses troupeaux si bien que ceux-ci ravagent les cultures de Caïn. Des tensions s'élèvent entre eux et, vers le début du 7 e millénaire BC, dégénèrent en conflit. Le meurtre d'Abel par Caïn signifie que les cultivateurs sédentaires l'emportent sur les éleveurs de bétail qui devront désormais adopter un nouveau mode d'existence au-delà des zones cultivées.

Mais la surpopulation des régions fertiles obligera Caïn à prendre à son tour le chemin du désert où ses descendants, symbolisés par Yabal-Caïn, son « fils », vont adopter un nouveau mode de vie, celui des Bédouins actuels, et ce jusqu'à Abraham, nomade en Mésopotamie vers 2000 avant JC.

Un seul fait géologique à relever est que, au 5 e millénaire avant JC, le Néolithique fait place à l'âge du Bronze. Les gîtes de cuivre sont donc recherchés et on en trouve sur les plateaux arides au contact calcaire-socle ancien. Il n'est donc pas étonnant de voir apparaître un autre fils de Caïn, Tubal-Caïn   (Gn 4 , 22), désigné dans la Bible comme « l'ancêtre de tous les forgerons de cuivre et même de fer ». C'est en effet   au cours de ce   5 e millénaire avant JC que les mines de cuivre commencèrent à être exploitées au Proche et Moyen Orient.

On aura compris, dans ce qui précède, qu'Abel, Caïn et leurs descendants, nommément cités dans la Bible (Yabal-Caïn, Tubal-Caïn), ne sont pas des personnages mais des populations car leur histoire s'étale sur un millénaire, voire plus.

Ils font naturellement se poser la question d' Adam et d'Eve . Qu'en dit la géologie ? Qu'il s'agit évidemment de la représentation, tout aussi mythique, de l'ensemble des premiers hommes, le problème étant   de savoir à partir de quand un primate hominien peut être qualifié d'homme. Cette discussion sort du cadre de cet exposé. Je dirai seulement que des hommes (des Néanderthaliens très évolués, proches de Sapiens) existaient déjà en Palestine il y a près de 100 000 ans, ce qui renvoie le problème de l'hominisation à un passé lointain, bien antérieur au 10 e millénaire avant JC.

Notre deuxième sujet est le déluge, qui part certainement d'un fait historique, à savoir une crue exceptionnelle du Tigre et de l'Euphrate qui, au 4 e millénaire avant JC, noya la basse Mésopotamie et que la Bible a grossie pour en faire un événement universel. Or on retrouve le Déluge dans un récit assyrien plus vieux d'un millénaire, l'épopée de Gilgamesh, qui contient pratiquement les mêmes détails. Il est donc probable que les deux traditions ont utilisé un événement qui avait frappé les esprits et dont le souvenir persistait.

De fait, dans les fouilles de la ville sumérienne d'Our, dans le sud de la Mésopotamie, on a trouvé une couche de limon pur épaisse de plusieurs mètres, qui contraste avec celles, plus minces, laissées par les crues habituelles. Cette couche épaisse couvre les vestiges d'un peuplement présumérien daté du 5 e millénaire avant JC. Or la civilisation sumérienne débute vers -3500. La fourchette est entre 5000 et 3500 mais on penche généralement vers le deuxième chiffre car c'est de cette époque que date l'essor de la civilisation sumérienne comme si elle se relevait d'un cataclysme.

La crue n'est certainement pas le seul événement à être intervenu. En effet, reprenons le texte biblique (Gn 7 , 11) : « Ce jour là, les écluses du ciel s'ouvrirent (la pluie) et jaillirent aussi toutes les sources du grand abîme  », terme obscur mais évoquant l'immensité et les profondeurs marines, origine d'un raz-de-marée éventuel.

  Un raz de marée coïncidant avec une crue fluviatile exceptionnelle aurait donné aux témoins le sentiment d'une vraie fin du monde. Il expliquerait mieux aussi les milliers de morts que suggère le texte biblique. Il est d'autant plus vraisemblable qu'au 4 e millénaire avant JC, la ville d'Our était au bord de la mer (golfe Persique). La mer a reculé sous l'effet de l'alluvionnement du Tigre et de l'Euphrate, ce que traduisent les lacs et les marais qui parsèment encore la basse Mésopotamie jusqu'au delà d'Our. Or le golfe Persique passe vers le sud au golfe d'Oman qui se superpose à une zone sismique particulièrement active. On peut donc penser à un raz de marée identique à celui qui a   frappé l'Asie du SE en 2004.

Mais il y a une autre possibilité.

On sait que bien des pays au monde ont, dans leurs traditions, un déluge présenté sous la forme d'un récit auquel participent souvent des personnages mythiques. La cause, forcément mondiale, est ici la surélévation du niveau de la mer postérieure à la dernière glaciation, par suite de la fonte des énormes calottes glaciaires qui s'étaient alors formées dans les régions polaires et sur les continents. La mer s'est élevée de 120 à 130 m dans le monde entier. Cette remontée du niveau marin s'est généralement faite de façon progressive (de l'ordre du cm/an) mais, parfois aussi, de façon catastrophique par suite de la rupture d'un relief formant un barrage naturel, généralement un cordon littoral, comme ce fut le cas du Zuydersee, en Hollande, au 12-13 e siècle. Le fond du golfe Persique se présente dans les mêmes conditions, car l'alluvionnement du Tigre et de l'Euphrate y vaut largement celui du Rhin.

Revenons au récit du déluge mésopotamien. Il est inséparable de la construction de «  l'arche  » mais la conception que l'on se fait actuellement du cataclysme permet de comprendre que l'échouage de l'arche sur le mont Arara n'est qu'une image. Ce massif   dépasse les 5000 m. C'est la plus haute des montagnes qui ceinturent la Mésopotamie, donc celle qui symbolisait le mieux l'énormité du Déluge et par là même la puissance divine.

En revanche, un détail du texte décrivant la construction de l'arche évoque, quant à lui, un   fait réel, à savoir le calfatage du navire par du bitume (Gn 6 14). Les auteurs anciens, notamment Hérodote, ont souvent parlé des remontées naturelles de bitume (asphalte) que l'on observe encore actuellement en Iraq dans la région de l'ancienne Babylone, bitume si répandu qu'il fut utilisé non seulement pour calfater les barges fluviales en bois et joncs tressés de l'époque, mais aussi comme mortier dans les constructions assyriennes en briques, y compris la fameuse tour de Babel dont il est également question dans la Bible. Les rédacteurs du texte ont repris dans leur description de l'arche une observation   qui, pour eux, était inséparable de la notion de tout engin flottant.

Quant aux animaux recueillis dans l'Arche, l'idée en est peut-être venue aux rédacteurs de la Bible à la vue des paysans qui, avant les crues, devaient fuir les zones inondables en entassant dans des barges fluviales les animaux domestiques de leurs fermes. 

La présence de bitume au Moyen Orient m'amène à un nouveau sujet, la destruction de Sodome et Gomorrhe, en bordure de la mer Morte. En effet, le bassin de cette mer intérieure contient également des hydrocarbures bien qu'en quantité plus réduite. La mer Morte est enchâssée dans un fossé d'effondrement limité par des failles depuis l'ère tertiaire. La mer y a alors pénétré et y a déposé du sel et des produits organiques d'origine biologique, produits qui ont évolué en pétrole et bitume. Ces produits remontaient jadis à la surface de la mer Morte en utilisant les failles bordières. Le pétrole, volatil, a disparu. Le bitume est resté et a été longtemps recueilli par les riverains (bitume de Judée). Un texte ancien décrit le phénomène   et ajoute que « le pays alentour est rempli d'exhalaisons inflammables et fétides », c'est-à-dire des hydrocarbures gazeux riches en produits soufrés, comme tous les hydrocarbures du Moyen Orient.

Ces précisions nous permettent de comprendre la destruction de Sodome. Que dit le texte biblique  (Gn 19 , 23-25) ? « Alors que le soleil se levait sur la terre et que Lot entrait à Shoar (une petite bourgade située au SE de la mer Morte), Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu venant du ciel et il renversa ces villes et toute la plaine avec leurs habitants et la végétation ». L'interprétation géologique est évidente : un séisme a fait jouer une des failles bordières du fossé, provoquant la destruction des villages construits à proximité et, en même temps, a libéré des hydrocarbures gazeux sulfurés associés aux masses de bitume stockées en profondeur. Les foyers domestiques renversés y ont mis le feu (4).

Quittons maintenant le livre de la Genèse pour celui de l'Exode.

Un premier ensemble d'événement peut y être considéré comme d'origine géologique. Il s'agit de deux des Sept Plaies d'Egypte , d'abord celle où une sorte de suie impalpable tombait sur les gens et leur brûlait la peau (Ex 9, 10), puis celle où l'obscurité régna pendant trois jours (Ex 10 , 22). On pense immédiatement à des nuages de cendres volcaniques brûlantes, suffisamment épais pour voiler le soleil.

D'où pouvaient-elles venir ? Il n'y a pas de volcans en Egypte. Aussi a-t-on généralement pensé à l'explosion du Santorin en mer Egée, vers 1450 avant J.C. Elle fut accompagnée d'une énorme émission de cendres qui ensevelirent les villages de l'île. Leurs ruines ont été fouillées et ont donné des bois tels que des poutres ou des encadrements de fenêtres, voire des charbons, tous datés de 3450 ans environ par le C14, soit donc bien 1450 avant JC. Par ailleurs le nuage de cendres, poussé par le vent, se dirigea vers le SE. On retrouve ces cendres en effet dans l'île de Rhodes. Rien n'empêche qu'elles aient atteint   l'Egypte. Mais seraient-elles restées brûlantes après un   trajet de 800 km ?

Il y a d'autres difficultés. D'abord et surtout, la couleur des cendres. Celles du Santorin sont blanches, alors que le terme de « suie », et même de « suie de fourneau », employé par la Bible, évoque une poussière noire. Il y a aussi une question de date. Bien que celle de l'Exode lui-même soit encore discutée, on s'accorde généralement pour le 13 e siècle avant JC, soit deux siècles après l'explosion du Santorin. Ces nuages obscurs et brûlants auraient-ils pu rester aussi longtemps gravés dans le souvenir des égyptiens ? Et, surtout, aurait-on vu alors leur lien avec le déclenchement de l'Exode ?

  Bref, le Santorin n'est sans doute pas le volcan recherché. Nous reprendrons la question plus loin.

Nous arrivons maintenant à l'exode des Hébreux et la fameuse traversée de la « mer Rouge », si tant est que cet exode ait réellement eu lieu. Car certains archéologues et exégètes pensent   qu'on a là un récit entièrement mythique.

  Il est pourtant signalé par un historien égyptien du 3 e siècle avant JC, Manéthon. Par ailleurs on sait qu'il a existé une colonie d'Hébreux dans la partie orientale du delta du Nil pendant près de deux siècles, jusqu'à l'époque de Ramsès II, soit au 13 e siècle avant JC. Enfin nous allons voir aussi que le récit de l'Exode contient des détails pris sur le vif, pourrait-on dire, et qui contribuent à le rendre vraisemblable.

Mais ce récit fait intervenir un phénomène géologique gênant, celui du passage à pied sec de la mer Rouge entre deux murs d'eau. S'il s'agit bien de la mer Rouge, un géologue ne peut que rester sceptique. La mer Rouge, ou plus exactement le golfe de Suez qui la prolonge au nord, n'est pas un marais. Elle est située dans un fossé d'effondrement envahi par la mer à l'ère tertiaire. Sa profondeur est trop forte pour permettre une mise à sec, même brève et locale, par un phénomène géologique quel qu'il soit, et a fortiori entre deux murs d'eau.

En fait, le texte originel ne parle pas de mer Rouge. Il dit en effet que les Hébreux, fuyant vers la Palestine, ne prirent pas la route habituelle par la côte méditerranéenne car elle était sous le contrôle de garnisons égyptiennes, mais ils se dirigèrent vers « le désert de la mer des Roseaux », plus au Sud.

De quoi s'agit-il ? Le fossé d'effondrement qu'occupe le golfe de Suez n'atteint pas la Méditerranée mais se prolonge, entre Suez et la mer, par une zone légèrement déprimée où se rassemblent les eaux souterraines. Celles-ci donnent des lacs ou des marécages envahis par des roseaux lorsque la nappe phréatique est proche du sol. Il est donc probable que « le désert de la mer des Roseaux » désigne cette zone de lacs et de marais. L'endroit n'avait pas bonne réputation car, dans certains secteurs, la nappe phréatique imprègne le sable pratiquement jusqu'à la surface et le rend meuble au point que l'on peut alors parler de « sables mouvants ». Les passages n'y étaient probablement connus que des seuls initiés. Les chars égyptiens, lancés à la poursuite des fuyards, auraient pu s'y enliser. On peut évoquer, pour illustrer la chose, un passage du célèbre film sur Lawrence d'Arabie. Le héros, dans sa traversée de cette région proche de l'actuel canal de Suez, perd son chamelier englouti sous ses yeux dans de tels sables mouvants.

Les auteurs du livre de l'Exode évoquent aussi le rôle du vent, car le texte biblique insiste à son sujet (« la mer fut refoulée par un fort vent d'Est et mise à sec », Ex 14 , 21). Un coup de vent violent aurait pu faire refluer temporairement les eaux d'un marais peu profond pour laisser libre un passage provisoire, ce qui est vraisemblable car le vent d'Est est bien connu pour sa puissance dans cette région.

Géologiquement parlant, on peut aller plus loin en proposant que les Hébreux soient passés en bordure même du golfe de Suez, c'est-à-dire à l'emplacement de l'actuelle ville de Suez qui n'existait évidemment pas à l'époque. Il y avait certainement, là aussi, des marécages envahis de roseaux. L'intérêt de cette hypothèse est que la nappe phréatique y est reliée à la mer, une mer ou les marées sont de type diurne (chaque marée dure 12 h) et suffisamment fortes pour se faire sentir fort loin à l'intérieur des terres, jusqu'à 10 km pour certaines marées exceptionnelles. Au moment du flux, la nappe s'élève et donne les sables mouvants en question. On le sait par les observations des savants de l'expédition de Bonaparte en Egypte. Un détachement, passé à pied sec, ne put revenir tant que la mer était haute. Il lui fallut attendre le reflux.

Ce phénomène à échelle de la journée ou de la nuit s'accorde assez bien avec le texte biblique où l'affaire se déroule en 24 heures (Gn 14 , 22-27).

                  

 

Voici le texte : Yahvé, refoula la mer toute la nuit par un fort vent d'Est et la mit à sec  (le vent se superpose à la marée basse et les Hébreux passent, conduits par des guides sûrs )…Au point du jour, Moïse étendit sa main et la mer rentra dans son lit (c'est la marée haute qui engloutit les égyptiens qui tentent alors le passage).

Notons en passant que l'action est beaucoup trop rapide pour être possible avec les 600 000 hébreux accompagnés de leurs troupeaux qu'évoque le texte biblique. Le récit s'accorderait mieux avec une simple poignée d'hommes.

De toute façon, ces explications ne rendent pas compte des deux murs d'eau entre lesquels les Hébreux seraient passés (Ex 14 , 22, 29). Mais il faut signaler qu'un seul des deux récits de l'Exode le mentionne, l'autre évoquant seulement l'eau des marais refoulée par le vent. La plupart des exégètes pensent donc que le premier récit introduit une image destinée à souligner la toute puissance de Yahvé (5) .

Bref, si dans le récit de l'Exode il y a un fait historique, celui-ci se ramènerait à la fuite d'un groupe d'Hébreux poursuivis par une poignée de gardes-frontières égyptiens (et non pas toute l'armée égyptienne, pharaon en tête), ceci en pleine tempête de vent d'Est et dans une région marécageuse (la mer des Roseaux), probablement au voisinage du futur emplacement de la ville de Suez. Les Hébreux devaient être suffisamment peu nombreux pour traverser rapidement le point critique de nuit, en profitant de la marée basse et du reflux des eaux momentanément refoulées par le vent, tandis qu'au matin leurs poursuivants se laissaient piéger par des sables redevenus mouvants sous l'effet de la marée montante.

Le Livre de l'Exode évoque peut-être encore un phénomène géologique, à savoir une éruption volcanique du mont Sinaï qui se serait produite après le passage de la mer des Roseaux, quand le peuple hébreux arriva au pied de cette montagne. On y lit en effet (Ex 19 , 18) : « La montagne du Sinaï était toute fumante parce que Yahvé y était descendu sous forme de feu. La fumée s'en élevait comme d'une fournaise et toute la montagne tremblait violemment  ». Certes il peut s'agir d'un effet littéraire annonçant que Yahvé va parler, mais cette rédaction fait plutôt penser à une éruption volcanique, auquel cas la chose aurait son importance car le Sinaï ne serait alors pas celui qu'on pense, c'est-à-dire le Djebel Musa (la montagne de Moïse) près du couvent de Ste Catherine, dans la péninsule de même nom, car il n'y a là aucun volcan (le Djebel Musa est entièrement granitique). Les plus proches sont 150 km plus à l'Est, sur le bord oriental du golfe d'Aqaba, dans la partie nord du massif de Al Hijaz, à la frontière nord de l'Arabie saoudite (pays de Madian des anciens textes) (6) où certains de ces volcans ont connu une activité récente. De toute façon, et en dehors des considérations géologiques, la localisation du Sinaï de la Bible a toujours été très discutée.

Je reviens un instant sur cette chaîne volcanique d'Al Hijaz et son activité récente parce qu'elle pourrait avoir donné les nuages de cendres volcaniques évoqués plus haut à propos des Plaies d'Egypte. En effet, ces cendres auraient été facilement transportées par le fameux vent d'Est qui est dominant dans la région comme on l'a dit. Le trajet aurait été plus court (400 km au lieu de 800) et l'on comprendrait mieux ainsi qu'elles soient restées brûlantes. Par ailleurs les cendres sont ici basaltiques, donc noires et, de ce fait expliquent mieux   la « suie » du texte biblique. Enfin le problème du décalage chronologique ne se poserait plus. Bref cette hypothèse apparaît plus intéressante que l'autre. Malheureusement la dernière éruption, bien que récente, n'est pas datée.

Nous voilà arrivés au terme de cet inventaire, finalement assez maigre, ce qui n'est pas étonnant car la Bible n'est pas une description géographique ou géologique du Proche Orient.

Les différents sujets examinés peuvent se répartir en deux groupes :

Les sujets « anecdotiques » qui ne représentent qu'un événement local ou une observation ponctuelle, généralement facile à interpréter. C'est le cas de la construction de l'Arche et de la tour de Babel, ou la destruction de Sodome et Gomorrhe, qui révèlent les ressources pétrolières de la basse Mésopotamie et de la mer Morte. C'est également le cas d'un Sinaï volcanique bien différent de celui des touristes.

Je rangerais aussi dans cette catégorie la traversée de la « mer des Roseaux » par les Hébreux fuyant l'Egypte, confrontés à des sables mouvants ainsi qu'à de curieux phénomènes météorologiques.

Les sujets importants reflètent, quant à eux, certains grands évènements dépassant le cadre du Proche et du Moyen Orient. C'est le cas de la « révolution néolithique », cet important changement climatique lié au réchauffement post-glaciaire et qui affecte d'énormes surfaces dans le bassin méditerranéen et une partie de l'Europe. On y voit le passage de la Préhistoire, une période chaude et humide qui avait laissé un souvenir agréable, pour ne pas dire « paradisiaque », à la Protohistoire où les conditions de vie sont devenues plus rudes.

L'autre cas est celui du Déluge dans lequel interviendrait pour une bonne part un raz de marée lié à une remontée générale du niveau des mers.

Qu'ils soient locaux ou plus généraux, ces évènements géologiques ont marqué ceux qui les ont vécus. Compte tenu des connaissances et de la mentalité de l'époque, ces témoins n'y ont vu que des manifestations de la puissance divine qu'ils ont exprimées sous forme de récits mythiques et dont ils ont tiré un enseignement théologique. En retrouver les fondements géologiques contribue à démystifier des textes trop souvent considérés comme des fables.

 

(1) Texte rédigé par Jacques Debelmas, professeur honoraire à l'Université de Grenoble 1

(2) Telle est du moins la conclusion du Groupe interdisciplinaire de la Faculté des Sciences de l'Institut catholique de Lyon, colloque des 4-6 janvier 1985, publiée dans les Cahiers de cet Institut, n° 17, 1986.

(3)  C'est sans doute à ce début de l'agriculture que le Livre de la Genèse fait aussi   allusion en disant qu'à la sortie du paradis l'homme fut condamné à cultiver la terre à la sueur de son front ( Gn 3 , 19).

(4) Le texte ajoute aussi (Gn 14, 26) que «  la femme de Lot regarda en arrière et devint une colonne de sel ». L'explication est que les bords de la mer Morte montrent des couches de sel d'âge tertiaire, dont le lessivage par les eaux de pluie contribue à la teneur en sel de cette mer, mais le ruissellement des eaux superficielles sur une roche aussi soluble la découpe en colonnes irrégulières où l'imagination populaire a vu des hommes ou des femmes pétrifiées.

(5)  Il est cependant possible qu'elle ait été suggérée par un phénomène naturel fréquent dans ces zones arides et qui est le mirage. Il y a quelques années, la télévision a donné un film sur ces phénomènes, film qui montrait un mirage à aspect de haut mur d'eau vertical et frémissant devant lequel passait une caravane. On ne peut écarter ici de tels phénomènes météorologiques parmi lesquels on pourrait inclure aussi les petits tourbillons de sable soulevés par le vent, classiques dans les déserts, tourbillons dont il est dit qu'ils guidaient les Hébreux dans leur fuite (voir Gn 13 , 21 : «  Yahvé les précédait sous la forme d'une nuée pour leur indiquer la route »).

(6) Moïse connaissait bien le pays de Madian. La Bible dit qu'il s'y était réfugié dans sa jeunesse après avoir tué un égyptien qui maltraitait des ouvriers hébreux. Il y épousa une fille du pays et y vécut quelques années avant de retourner en Egypte. Il était donc compréhensible qu'il s'y réfugiât à nouveau.

 

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